Suspendus aux lèvres d’un conteur, incapables d’interrompre la lecture d’un roman, captivés par un film haletant, nous faisons tous l’expérience quotidienne de ce plaisir apparemment paradoxal que nous tirons de notre insatisfaction provisoire face à un récit inachevé. Bien qu’une mode esthétique et théorique ait tenté de nous convaincre que ce plaisir était honteux, on peut néanmoins avoir l’intuition que le cœur vivant de la narrativité réside précisément dans ce nœud coulant, toujours plus serré à mesure que nous progressons dans l’histoire, qui nous attache à l’intrigue et creuse la temporalité par l’attente impatiente d’un dénouement. Si le récit a quelque chose à voir avec la manière dont nous éprouvons le temps, cette expérience n’apparaît jamais avec autant d’éclat que dans le suspense, la curiosité ou la surprise qui font la force des intrigues fictionnelles. La compréhension des fonctions narratives engage donc non seulement l’analyse littéraire, linguistique et sémiotique, mais aussi l’analyse cognitive et la psychologie des émotions.
Raphaël Baroni est docteur ès lettres. Maître d’enseignement à l’université de Lausanne et chercheur du Fonds national suisse à l’université de Fribourg, il fait partie du comité de rédaction de la revue interdisciplinaire A Contrario et collabore au site d’études littéraires Vox Poetica. Il a récemment co-dirigé un volume sur les relations entre littérature et sciences sociales (A Contrario, n° 4, vol.2) ainsi qu’un ouvrage sur les genres littéraires (Le Savoir des genres, Rennes, PUR).
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