Résumer ce livre à la trame de son histoire serait en affadir le propos ; en effacer le charme troublant. Dire qu’il s’agit de l’évocation d’une enfance pendant les années 40 à Nantes et ses environs, se mêlant à celle d’une des plus touchantes figures de la résistance, ce n’est pas trahir ce récit, mais c’est terriblement réducteur. Ça ne fait sentir en rien le grand pincement au cœur que l’on ressent en le lisant, et l’empreinte profonde qu’il laisse une fois refermé. Car c’est la manière dont chaque moment, chaque lieu, chaque personne, sont évoqués qui fait la force poignante de ce livre.
Paul Louis Rossi ne nous mâche pas le travail. Il ne nous guide pas par la main au cœur d’un décor bien balisé. C’est par ce qui semble, de prime abord, un tremblant fouillis que le récit avance. Mais les fils lentement se nouent, tissent la toile. Une mosaïque captivante se construit sous nos yeux et l’émotion grandit au fil des pages.
On pourrait dire de Paul Louis Rossi qu’il est une sorte de tachiste du roman. Des lieux sont évoqués avec justesse par petites touches (Nantes, ses banlieues maraîchères, ses usines métallurgiques et quartiers ouvriers, les fermes où l’on allait chercher le lait, Paris, ses quais de Seine et ses mariniers, le Père Lachaise, Vienne et ses décombres d’après guerre…), des personnages apparaissent par surprise et repartent pareillement, la plupart façonnant la nébuleuse de la résistance et les milieux ouvriers et apatrides où elle est née (“Transfuges de l’Europe centrale, réfugiés politiques italiens, espagnols de l’armée républicaine, combattants des brigades internationales…”), des chansons, des films, se glissent dans le récit, y apportant leur saveur nostalgique, les richesses des langues prêtent leur musique : les mots du patois gallo, du breton, du yiddish, font une frise qui ourle les rencontres, des histoires d’une grande densité sont contées brièvement comme des nuages courant sur le fleuve.
La vie de toute une époque est là. De toute une époque ? Plus que ça, c’est la vie, toute la vie des hommes qui pulse là. La vie dans ses petits gestes et grands engagements, dans ses méandres et son cours le plus droit, dans ses errances et ses fulgurances. C’est la vie d’hier qui parle à celle d’aujourd’hui, de toujours. La vie belle et triste, ses ombres et ses fantômes qui ne cesseront jamais de parler. L’enfance y croise la sale gueule du destin (“En ces années, le destin avait un feutre sur les yeux et une allure louche de dévoyé”). Des êtres se rencontrent “pour s’aimer parfois, mais le plus souvent pour mourir”. Des bombes tombent sur les gens à l’improviste, rasant leur univers, les jetant sur les routes. Mais la solidarité marche aussi : “la tendresse obscure des gens du peuple pour les réprouvés, les révoltés et les bannis”, soutient les résistants, les aide, les protège.
Avec son regard naïf, le petit garçon raconte tout ça, autant que ses jeux, ses questionnements, ses doutes. Régine, il en a entendu parler alors. C’était “l’héroïne inconnue, impalpable et prestigieuse”, qu’il ne rencontrera jamais. C’était la belle jeunesse de la résistance : “ces jeunes gens vifs et déliés qui en ces temps de résignations, de prudence et de mensonges, étaient rapides, mouvants et pressés, et affectaient à tous les instants une gaité ironique.” Mais, bien plus tard, il aura entre les mains le journal de Régine et liera alors l’exploration de son enfance et la quête de la jeune femme qu’elle fût. Pourquoi ? Une manière de garder l’enfance, ses idéaux et ses rêves ? Un constat de convergence entre deux vies, leurs engagements et leurs questionnements ? Tout cela, bien sûr. Mais l’enfant devenu adulte, confronté à ses anciens paysages “remodelés par le monde de l’artifice où il ne retrouve plus que des visages fardés”, est contraint de le constater :
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